Profitant de la popularité qu’il a acquise par ses exploits d’aviateur, Charles Lindbergh, membre éminent de l’organisation « America First » et admirateur des nazis, décide de se présenter en 1940 comme candidat à l’investiture républicaine pour l’élection présidentielle de 1941. Élu par les républicains, il se présente face à Franklin Delano Roosevelt et remporte l’élection haut la main fondant sa campagne sur la non-intervention en Europe afin d’éviter de faire couler du sang américain.
Aussitôt en poste, Lindbergh proclame la neutralité des Etats-Unis. S’il ne va pas jusqu’à s’allier à Hitler et ses alliés, l’isolationnisme de l’Amérique profite aux Puissances de l’Axe, rendant les combats plus difficiles pour les alliés. Lindbergh façonne un gouvernement à son image, regroupant d’autres antisémites notoires tel Henry Ford, le célèbre constructeur automobile ou des non-interventionnistes comme Burton K. Wheeler.
Au travers des yeux d’un enfant juif, l’auteur nous présente une Amérique qui se retrouve face à ses démons, une Amérique de tous les contrastes, telles que nous la connaissons encore aujourd’hui, avec ses actes de générosité incroyables venant d’individus auxquels on ne s’attend pas et ses actes d’égoïsmes venant de personnes que l’on adulait, cette Amérique capable d’exploits fantastiques et de lâcheté incroyable, d’amour et de haine, de beauté et de laideur.
Alors que Lindbergh fait promulguer des lois qui obligent les juifs à se disperser à travers le pays et à accepter du travail dans des régions très éloignées de leur lieu de résidence, mettant en œuvre des programmes pour enseigner aux enfants juifs « l’American Way of life », nous assistons aux réactions de cette communauté juive, d’abord incrédule puis terrifiée de voir se développer une politique de type national-socialiste aux Etats-Unis. Lindbergh va jusqu’à recevoir Von Ribbentrop à la Maison Blanche.
Certains juifs décident de partir combattre les nazis en transitant par le Canada, d’autres comme le journaliste s’opposent ouvertement au nouveau régime alors que d’autres encore se rallient à celui-ci, choisissant d’ignorer le mépris affiché de ce gouvernement et prônant aux autres juifs d’accepter une forme d’assimilation. La grande majorité des juifs reste cependant plutôt passive devant les événements, subissant leur sort en silence.
La culpabilisation des juifs continue de s’accentuer, lorsqu’un beau jour, le président Lindbergh disparaît aux commandes de son avion personnel sans laisser de traces. Le vice-président tente de faire enfermer les leaders démocrates mais la femme de Linbergh y est opposé et parvient à émettre un message radiophonique dénonçant une tentative de coup d’état. Le vice-président est démis de ses fonctions, de nouvelles élections ont lieu et finalement, quand les Japonais attaquent Pearl Harbour, l’Histoire reprend son cours.
Ce roman est très réussi, le fait de suivre l’évolution des événements au travers des yeux d’un enfant (l’auteur lui-même) accentue l’atmosphère de crise, au fur et à mesure que la paranoïa s’installe chez l’enfant. L’évolution graduelle que l’auteur fait subir à la société américaine renforce la crédibilité de cette uchronie. L’Amérique ne bascule pas d’un coup vers un régime nazi déclaré, elle glisse petit à petit vers un régime plus autoritaire où certaines composantes de la population sont priées de s’intégrer plus, d’adopter les mœurs des «véritables américains». Cette dernière démarche peut être comparée avec ce qui se passe de nos jours en Europe occidentale, jusqu’à quel point doit-on/peut-on demander à des immigrants de s’intégrer. A quel moment des demandes légitimes (telles que le respect des lois) basculent-elles vers des demandes moins légitimes, vers une tendance à l’intégration forcée.
Mon seul regret est, comme pour « autant en emporte le temps« , que l’auteur finalement retourne vers la trame historique comme s’il n’assumait pas juqu’au bout son uchronie.
Ma note personnelle: 17/20 – 15/20(pour l’uchronie coupable)
Philippe Roth – Le complot contre l’Amérique
Folio